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Outil de communication et arme de séduction, notre voix nous dévoile. Au point que certains tentent d’en changer. Le docteur Jean Abitbol explique comment être bien dans sa voix, donc dans sa peau.

Erik Pigani

La voix, reflet de la personnalité

« Je suis avocate à la criminelle. J’ai une voix grave et, au téléphone, on me prend souvent pour un homme ! Bon, je défends des voyous et je gagne pratiquement tous mes procès. Mais, aujourd’hui, ma voix me gêne, et surtout elle ne plaît pas à mon petit ami. »

La jeune femme venue consulter le docteur Jean Abitbol est dynamique, de style un peu garçonne, blouson en cuir et cheveux courts. C’est vrai, sa voix est grave, légèrement rauque, trahissant à la fois une fumeuse invétérée et une forte personnalité. Somme toute, en harmonie avec son apparence. Pendant la consultation, le phoniatre ne détecte sur ses cordes vocales ni cancer ni lésion grave, mais un bel œdème. L’effet du tabac. L’avocate tient à se faire opérer pour se débarrasser de ce timbre trop masculin à son goût. Puisqu’il n’y a pas de cancer, le médecin s’y refuse. Et parce que, pour lui, toucher à sa voix serait toucher à sa personnalité. Comme l’un et l’autre lui semblent aller parfaitement ensemble… Déçue, l’avocate quitte son cabinet.

Neuf mois plus tard, une jeune femme se présente chez le phoniatre, cheveux mi-longs, robe de mousseline beige, une voix nette, claire, aiguë. Le docteur Abitbol ne la reconnaît pas, mais c’est l’avocate ! Un autre spécialiste a accepté de l’opérer… Techniquement, c’est du beau travail. Extérieurement, un changement de look spectaculaire. Psychologiquement, un désastre : « Quand je rêve, je rêve avec ma voix d’avant, avoue la jeune femme. Quand je plaide, je n’ai plus la même verve, et je perds pas mal de procès. Je me sens fragile, sur la défensive. Je ne me reconnais plus, ni dans ma voix ni dans ma peau. J’ai l’impression d’être devenue schizophrène de la voix ! »

Une alchimie corps-esprit

Cette histoire montre combien notre voix est le reflet à la fois de notre état physique, de nos émotions, de notre vie intérieure. « La voix est une alchimie entre le corps et l’esprit, indique le docteur Abitbol. Elle révèle aussi, dans nos silences, nos respirations et notre musicalité, les cicatrices et l’histoire de notre vie. Elle est donc l’image non seulement de notre personnalité, mais aussi de notre évolution. Voilà pourquoi, lorsqu’une personne vient me consulter parce qu’elle n’aime pas sa voix, je tiens compte de l’état de son larynx et de ses cordes vocales, mais aussi de sa personnalité, de son histoire, de son métier, de son environnement culturel. »
Culturel ? Un exemple : Stéphanie a 38 ans, elle occupe un poste à responsabilité dans une grande agence de communication. Elle a entendu sa voix pour la première fois en écoutant une bande enregistrée sur un magnétophone : « C’est moi, ça ? » Comme d’autres, qui ont senti leurs cheveux se hérisser en écoutant leur répondeur, ce fut le rejet immédiat : « Trop jeune ! J’ai une voix trop jeune. » Pour Jean Abitbol, voilà une réaction culturelle typique. Il y a une cinquantaine d’années, la voix féminine standard était plutôt aiguë, avec des représentantes très populaires comme Arletty. Les actrices qui avaient des voix graves, par exemple Marlène Dietrich, personnifiaient le mystère de la séduction. « Aujourd’hui, une femme qui occupe un poste à responsabilités se doit d’avoir un timbre plus grave, explique le phoniatre. L’égalité des sexes semblerait aussi passer par là ! Donc, pour aimer sa voix et s’aimer soi-même, il faut être conscient des standards de notre société, qui nous poussent à idéaliser certaines harmoniques. »

Sexe et voix

Alors, le problème de Stéphanie, juste dans sa tête ?
Pas forcément. Jean Abitbol rappelle que la voix est considérée comme un organe sexuel secondaire. Une étude récente (source : Evolution and Human Behavior, septembre 2004), menée par des chercheurs de l’université d’Albany, aux Etats-Unis, a même montré que les personnes dont les voix sont considérées comme « érotiques » sont aussi celles dont la vie sexuelle est la plus active. Si vous pensez avoir une voix trop jeune par rapport à votre âge, il est possible que vos cordes vocales n’aient pas subi une imprégnation hormonale suffisante.

Quant aux hommes, ils peuvent avoir manqué de testostérone. Comme ceux qui ont une voix de fausset ? Oui, mais le problème est un peu plus complexe. On a tous entendu ces grands gaillards, bien bâtis, bien masculins, qui occupent parfois des postes importants, mais dont la voix haut perchée, comme celle d’un enfant, est peut-être mieux adaptée au doublage de dessins animés qu’au management d’une équipe de représentants. « Voilà des personnes qui, essentiellement pour des raisons psychologiques, ont dénié la sexualisation de leur voix pendant la puberté, poursuit Jean Abitbol. Aussi, en raison de leur timbre vocal, ces hommes ne s’aiment pas, ils ont une mauvaise image d’eux-mêmes. Le travail du phoniatre ou de l’orthophoniste consiste à les aider à repositionner leur larynx et à développer leur puissance vocale. En deux ou trois mois, ils se mettent à aimer leur vraie voix, bien placée, et à être plus spontanés.

La rééducation vocale

Il y a aussi ceux qui n’aiment pas leur voix parce qu’elle ne « porte pas ». « Dès qu’il y a trois personnes dans une pièce, on ne m’entend plus », avait dit en consultation une mère de famille. Question du phoniatre : « Avez-vous vraiment envie de vous faire entendre ? » Ou, à l’inverse, ces hommes à la voix tonitruante, qui parlent le menton baissé pour faire résonner les sons et s’écouter parler. « Un ORL identifie très vite une voix artificielle, forcée, commente Jean Abitbol. En général, ces hommes-là veulent montrer leur puissance, mais cachent une certaine fragilité. Ils utilisent leur voix mais, à force d’en jouer, ils ne l’aiment plus, et finissent par ne plus s’aimer eux-mêmes. »

Autre cas de figure : les personnes qui n’ont pas conscience de l’impact de leur voix sur leur entourage. Comme les « claironnantes » qui ne savent pas parler doucement, ou les « crieuses », de véritables crécelles dont le débit ultrarapide mettrait à rude épreuve les nerfs du plus zen des lamas bouddhistes ! « Elles ont souvent quelque chose à prouver, à elles-mêmes et aux autres, explique Jean Abitbol. Il ne faut pas hésiter à leur dire la vérité : “Quand tu parles, je ne te comprends pas” ou “Ta voix est fatigante.” Car c’est vrai, un timbre trop aigu et trop fort fait mal. »

Solutions ? La rééducation vocale avec un ORL, un phoniatre ou un orthophoniste, mais aussi le théâtre pour apprendre à se contrôler, la chorale pour apprendre à écouter les autres, le chant pour placer sa voix et se découvrir soi-même. Car notre voix, c’est nous ! « Quel que soit le problème, il est toujours possible de la travailler, ajoute Jean Abitbol. Parce que le but, c’est d’être bien dans sa voix comme on est bien dans sa peau. »

Des voix connues

Vincent Delerm, chanteur
« J’ai appris à connaître ma voix grâce à ce que m’en ont dit les gens. Certains m’ont même conseillé de la travailler. Je ne l’ai jamais fait, par orgueil, sans doute. Et puis parce que, de l’intérieur, ma voix ne me semblait pas spéciale. C’est vrai qu’aujourd’hui, quand j’écoute mon premier album, je la trouve bizarre. Mais ça ne me dérange pas. »

Pascale Clark, journaliste
« Ce que je pense de ma voix ? Je ne sais pas… c’est moi. A force de m’entendre dire qu’elle est particulière, j’ai fini par l’admettre. Mais dire en quoi elle est singulière, j’en serais incapable ! C’est comme si l’on me parlait de quelque chose que je ne connais pas, puisque je suis la seule personne au monde à l’entendre comme je l’entends. C’est d’ailleurs troublant, quand on y réfléchit. La changer ? Quelle horreur ! »

Dani, chanteuse
« Je ne pense pas du tout avoir une voix singulière. On me prend pour un homme au téléphone, mais cela s’arrête là. Ma voix ne m’a jamais particulièrement gênée ou plu. Elle est ce qu’elle est. Et je ne suis pas du genre à m’écouter parler. Quand je m’entends chanter, c’est une autre voix puisqu’elle devient de la musique. En fait, je ne l’entends jamais, comment pourrais-je avoir un avis sur elle ? »

Frédéric Mitterrand, journaliste
« Quand j’étais petit, je détestais ma voix. Objet de moquerie à l’école, elle me complexait. Si j’ai voulu faire ce métier, c’est sans doute, entre autres, pour faire entendre cette voix « inaudible ». Moi, je la trouvais étrange. Mais on trouve toujours sa voix étrange quand on l’entend pour la première fois. Je ne l’ai pas du tout travaillée, j’ai mis longtemps à m’y habituer. Aujourd’hui, je la trouve assez prenante quand je m’en sers pour des voix off sur des films. Au fond, la voix que je veux faire entendre, c’est la voix off. Celle de l’enfant que j’étais ? »