Interview d’Amanda Castillo
Spécialiste des domaines des ressources humaines, de l’emploi et de la formation
Article publié sur la revue Le Temps – le jeudi 8 juin 2017 à 14:20
En temps que femme, comment s’affirmer en
travaillant sa voix ?
De nos émotions ponctuelles à notre personnalité profonde, notre voix raconte tout de nous. Elle dit ce que les mots s’efforcent de taire et révèle la place que nous nous accordons dans la société et au travail. Une place souvent difficile à prendre pour les femmes. Explications
Invitée sur le plateau de «C à vous» le 18 mai dernier, Ségolène Royal a confié qu’elle pourrait se plaire dans un rôle de chroniqueuse politique. Cette annonce a aussitôt été suivie d’un premier conseil prodigué par Roselyne Bachelot, ex-ministre reconvertie dans les médias, sur la chaîne de télévision LCI: «Il y a une seule chose que je me permettrais de lui donner en conseil, c’est vraiment de retravailler sa voix. Elle a un net problème de voix.»
En invitant l’ex-candidate malheureuse à l’Elysée à corriger certains traits vocaux, Roselyne Bachelot a rappelé une réalité négligée par de nombreuses femmes: la voix, parce qu’elle conditionne l’image que les autres se font de nous, est un puissant outil de leadership.
La voix, ce second visage
Pour s’en convaincre, il suffit de parler au téléphone avec un inconnu. Dès les premières secondes de la conversation, une idée globale de ses principaux traits de personnalité et de son aspect physique se formera à l’écoute de sa voix. Affirmée et enjouée, elle conviera l’image d’une personne compétente, charismatique et dynamique. Traînante et nonchalante, elle donnera le sentiment d’avoir affaire à un individu mou ou paresseux. Aiguë, elle sera synonyme de gêne ou d’appel à l’aide et aura peu de crédibilité. «La voix, comme certains traits du visage ou mimiques, fait partie de ces éléments que l’on n’analyse pas consciemment, mais qui nous donnent une impression souvent déterminante d’une personne», indique Christine Moussot dans Femmes, faites-vous entendre, un livre récemment paru aux Editions Odile Jacob. Autrement dit, notre voix nous colle une étiquette, nous installe dans une posture. Maîtriser sa voix est par conséquent essentiel pour développer son influence et gérer son image.
Dans ce domaine toutefois, les femmes partent de plus loin et ont un travail plus important à fournir. «Quand un homme souhaite développer son charisme par le travail de la voix, une femme formule juste le modeste souhait de «se faire entendre», assure Christine Moussot. Pourquoi cette différence? Parmi les causes figurent évidemment des éléments purement physionomiques: les cordes vocales des femmes étant plus courtes et fines, elles donnent des voix plus aiguës et moins fortes que celles des hommes.
Une voix imprégnée par l’éducation
Ces caractéristiques physiques n’expliquent cependant pas à elles seules les voix haut perchées ou effacées de nombreuses femmes. Christine Moussot rappelle qu’historiquement, il a longtemps été de bon aloi d’afficher, en tant que femme, une bonne dose d’humilité, de la réserve, et une certaine timidité. «Une femme respectable et bien éduquée se devait d’être délicate et discrète, de parler toujours doucement, d’éviter tout éclat de voix, de ne pas hausser le ton, de contenir sa joie et sa colère, et de ne pas exprimer ses opinions.» Même si tout cela s’est considérablement atténué de siècle en siècle, il arrive encore souvent que l’on attende des petites filles qu’elles soient mignonnes et sages, alors que l’on juge normal qu’un petit garçon se montre audacieux, affirmé et autoritaire.
Arrivées à l’âge adulte, beaucoup de femmes, craignant d’être impolies, restent de «gentilles petites filles» et conservent des voix enfantines, souriantes, et discrètes. Ces caractéristiques vocales donnent cependant l’image d’une personne hésitante et dépourvue de confiance en elle et portent naturellement préjudice à l’évolution de leurs carrières: certaines rencontrent des difficultés à faire entendre leur voix en entreprise et en politique. D’autres ne parviennent pas à faire valoir leurs compétences et à se mettre en avant.
Un travail sur la voix qui cache une recherche de soi
Au moment de travailler sur leur voix, «les hommes doivent ainsi souvent travailler sur des aspects techniques – respiration, projection, timbre, réglage de l’énergie vocale – et parfois sur les séquelles laissées par leur histoire, mais les femmes doivent en plus se délester du poids de plusieurs siècles d’oppression et de rabaissement de leur condition, avec toute la culpabilité que cela suppose, note Christine Moussot. Même si la plupart des besoins exprimés initialement par mes clientes concernent des points techniques – «je voudrais apprendre à parler plus fort», «j’ai la voix qui tremble», «je parle trop vite» – ils révèlent souvent rapidement une recherche beaucoup plus vaste: celle de la place que l’on se donne et, en conséquence, celle que les autres nous accordent.»
Pour développer une voix charismatique et affirmée, il est donc essentiel de prendre conscience de sa posture face aux autres et des rôles que l’on «affectionne». Le travail de la voix ne peut en effet se résumer à un travail technique ou mécanique. «Comprendre ce que notre ton traduit en termes de posture dans différentes situations permet de prendre conscience du comportement à corriger, des caractéristiques de la voix qui ne sont pas appropriées. Le travail technique se fera alors à la lumière de cette conscience, et n’en sera que plus efficace.»
Dans quels rôles votre voix vous place-t-elle ?
Ainsi, une voix monocorde, dénuée de toute émotion, qui donne l’impression de «lire la liste des courses», peut s’expliquer par le besoin de se montrer professionnelle mais aussi par la peur de la séduction. «Pour éviter tout malentendu, de nombreuses femmes lissent au maximum toute lecture sexuée de leur voix et réduisent leur communication à la plus grande sobriété», poursuit Christine Moussot.
La voix maternante quant à elle est envahissante bien que douce et dénote une volonté d’être utile, voire irremplaçable. La voix précipitée (la personne mange les mots et se retrouve souvent à court de souffle) peut être le signe d’un sentiment d’illégitimité – de peur de déranger ou d’ennuyer, la personne cherche à abréger au plus vite la souffrance de son auditoire – mais aussi d’anxiété. La personne a hâte d’en finir parce qu’elle est mal à l’aise et n’aime pas être le centre de l’attention ni être observée par les autres. La «petite voix» enfin est une voix difficilement audible, sans consistance, qui cherche à être polie et serviable. Cette voix fréquemment utilisée par les femmes donne l’impression de s’excuser ou d’attendre la validation des autres en permanence. Comme on peut s’y attendre, celles qui l’adoptent ont du mal à se positionner comme leader et à gravir les échelons de la hiérarchie. «Si notre voix n’est pas incarnée, nous ne pouvons pas non plus incarner notre message et n’aurons, en conséquence, pas le moindre impact à l’oral», analyse Christine Moussot.
Comment se faire entendre ?
Quelle voix adopter, donc, pour se faire entendre? La faible représentation des femmes aux plus hauts niveaux de l’entreprise fait que les modèles féminins de leadership sont encore rares et que les femmes manquent de repères quant au ton et au style à adopter. Certaines imitent de ce fait les voix de leurs homologues masculins. Cet abaissement de la tonalité de la voix, parce qu’il est exagérément artificiel, ne leur confère cependant pas toujours plus de crédibilité et d’autorité. De plus, toute incongruité entre sa voix et son identité apparente est susceptible d’agacer. «Vocalement, ce qui nous dessert, ce n’est ni la hauteur plus aiguë ni le timbre plus clair, mais les comportements vocaux – serrage de la voix, décrochage dans les aigus, perte de consistance, de corps – qui découlent de nos apprentissages», assure Christine Moussot. Et de conclure: «Une voix féminine, osant des modulations et acceptant ses aigus, mais débarrassée de ses peurs et prenant sa place, sera aussi impactante qu’une voix masculine.»